Le responsable doit-il interpeller son collaborateur à propos de son poids ou de ses mauvaises habitudes pour sa santé ? Ou est-ce : « il n’y a que moi que ça regarde » ?
Récemment, Arbo Unie, l'un des plus grands services de santé et de sécurité au travail des Pays-Bas, a fait valoir que le responsable devait pouvoir s'adresser à un collaborateur au sujet de son poids ou de ses mauvaises habitudes.
Cette enquête a été réalisée auprès de plus de 1.000 travailleurs (âgés de 18 à 55 ans) et de 400 employeurs de différents secteurs.
Selon le professeur Willem van Rhenen, directeur d'Arbo Unie et professeur à la Neyenrode Business University, il est nécessaire que l'employeur et le travailleur trouvent une solution pour sortir de cette « impasse ». Les employeurs cherchent à ce que leurs employés fonctionnent bien (comprenez : à réduire l'absentéisme), et les travailleurs aspirent à bien travailler et à vieillir en bonne santé. Pour M. van Rhenen, il est indispensable d’aborder sur le lieu de travail la question du style de vie sain et de passer à l'action. Il y est question sur le site web de faire suffisamment d'exercice et de santé en général (le nom en dit long), ainsi que d'une alimentation saine. Le professeur associe également les cas plus graves de COVID aux mauvaises habitudes pour la santé. Sans doute une référence au « fait » que le nombre d'admissions en soins intensifs était plus élevé chez les patients obèses aux États-Unis. Dans les médias (flamands), cela a ensuite été généralisé aux personnes en surpoids, alors que ce n'est ni correct ni la même chose. Il ajoute que le stress au travail et l'équilibre entre vie professionnelle et vie privée sont (plus) facilement abordés par les employeurs et les travailleurs.
Permettez-moi de mettre ces déclarations en perspective et de tenter de répondre ou de soulever certaines questions.
Contexte
Le lieu de travail est de fait un environnement propice aux activités de promotion de la santé (Rijksinstituut voor Volksgezondheid en Milieu, RIVM, Pays-Bas 2012). En 2010 encore, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a affirmé que le lieu de travail est l'un des environnements les plus importants pour la promotion de la santé au XXIe siècle. De grandes entreprises internationales telles que Facebook et Google s'efforcent depuis quelque temps déjà de peser sur le style de vie au travail (par le biais de mesures de nutrition, de relaxation, de remise en forme, etc.). Les médias leur ont réservé une grande attention. Mais est-ce plus qu'un simple engouement ? Que penser de la multiplication de toutes sortes de « coachs ou stylistes de vie » ? Et en quoi la « médecine axée sur le style de vie » s'inscrit-elle dans ce contexte ?
Le mode de vie, ou style de vie, parfois désigné par l'anglicisme lifestyle, est la manière de vivre, le comportement quotidien lié à la santé, d'une personne. Le style de vie est donc l'expression du comportement d'une personne en matière de santé et est également déterminé par de multiples facteurs.
Les actions de promotion de la santé peuvent avoir démontré un avantage au niveau de la population dans des études épidémiologiques, mais les avantages peuvent ne pas être établis au niveau purement individuel ou peuvent même être préjudiciables (ce qui a été démontré par exemple pour ‘faire plus d'exercice’). Les activités peuvent créer d'autres « inégalités en matière de santé » et provoquer le fameux « effet Matthieu » (qui fait que les travailleurs en bonne santé le deviennent davantage... ce qu’on voit chez les travailleurs ayant un niveau d'éducation plus élevé).
Mais qu'est-ce qu'un « mode de vie nuisible à la santé » ? Qu'est-ce que par exemple un problème de poids ?
La difficulté réside dans le fait qu'il est difficile ou impossible de définir un mode de vie (non)sain de manière unanime. Aux Pays-Bas on se concentre à encourager et aider les travailleurs à bouger davantage, à arrêter de fumer, à consommer de l’alcool avec modération, à manger sainement et à se relaxer suffisamment.
Il est évident que « l'obésité » (définie par l'Organisation mondiale de la santé dans les pays occidentaux comme un indice de masse corporelle (= poids en kg et taille en mètre carré) supérieur à 30) entraîne un grand nombre de maladies. En revanche, pour un certain nombre de pathologies (certains cancers, certaines maladies cardiovasculaires et les maladies pulmonaires chroniques), un léger excès de poids n'entraîne pas plus de pathologies, voire même moins de maladies. C'est ce que l'on appelle le « paradoxe de l'obésité ».
En quoi le choix du style de vie relève-t-il de la sphère privée ?
On pourrait faire valoir qu'il ne s'agit pas de questions privées si elles mettent en danger la santé (et la sécurité) des collègues ou du travailleur lui-même. Nous rappelons que l'employeur a le « devoir de diligence » de créer un lieu de travail sûr et sain pour tous ses travailleurs. Mais qu'en est-il si le comportement n'a pas d'impact sur le fonctionnement au travail ? Contrairement à ce que montrent souvent les rapports et les études, les personnes en surpoids ne sont pas plus souvent ou plus longtemps absentes pour cause de maladie. On ne peut pas en dire autant des fumeurs, par exemple. Il est également fréquent de constater que les interventions sur le mode de vie montrent, après cinq ans, une détérioration des résultats que l'on souhaitait obtenir avec ces actions.
Ne serait-ce pas une stigmatisation intempestive ou simplement une lutte contre les symptômes ?
Le plus grand syndicat néerlandais, la FNV (1 million de membres), considère que le risque professionnel est la priorité : « prévenir ou réduire les risques au travail ». Il ne suffit pas de mettre en place des programmes d'amélioration du mode de vie, disent-ils, il faut surtout « un lieu de travail et des activités et des horaires de travail sûrs et sains ». À quoi servent et quelle est la crédibilité des campagnes de lutte contre le tabagisme si les travailleurs se retrouvent exposés aux émanations de soudage en raison de l'insuffisance des extracteurs de fumée ? Proposer un cours de pleine conscience sans rien faire d'autre pour lutter contre le stress au travail ? Ne faut-il pas s'attaquer en priorité aux problèmes fondamentaux qui se posent sur le lieu de travail ?
En effet, les propositions paternalistes (« c’est pour leur propre bien ») et bien intentionnées aboutissent souvent à des résultats négatifs, même si ces propositions proviennent d'un cadre ou de l'employeur lui-même.
Quelle est la portée de la promotion d'un style de vie plus sain par les employeurs ?
Il convient de délimiter le périmètre éthique. Autrement dit, il faut peser les effets positifs de l'influence sur le mode de vie par rapport aux restrictions de la liberté individuelle (Centrum voor Ethiek en Gezondheid, CEG, Pays-Bas, 2016). Il est essentiel de tenir compte du lien entre le mode de vie et les performances professionnelles. Il ne faut pas sous-estimer ou négliger la relation d'autorité de l'employeur. En outre, il est important que les travailleurs disposent d’une liberté de choix et qu’ils puissent choisir l'option qu'ils souhaitent, et qu’ils aient donc aussi la possibilité de se désengager (sans en indiquer la raison et sans risque de rétorsion).
Suivez le guide ?
Est-ce que le responsable est bien la personne la mieux placée (au sein de l'entreprise) pour aborder la question de la « bonne santé » et du comportement en matière de santé ? Si l'on se penche sur l'absentéisme, on constate que c'est le responsable lui-même qui est une cause majeure d'absentéisme et de turnover, et non pas tant le comportement de santé du subordonné.
Mais attention à ne pas jeter le bébé avec l'eau du bain !
Le VIGL, le Vlaams Instituut Gezond Leven (Institut flamand pour un mode de vie sain) a développé divers instruments et outils en vue de mettre en place une « politique de santé préventive », au sein de laquelle « l'engagement de la direction » est indispensable. Le Comité pour la prévention et la protection au travail (CPPT) a également un rôle à jouer à cet égard. En outre, les services externes et internes, et en particulier les médecins du travail, doivent être attentifs aux interventions visant à promouvoir la santé (information et éducation), comme l'indique le Code.
En conclusion
Outre le style de vie, il est évident que la personnalité, les connaissances et les compétences du travailleur jouent également un rôle important. Il semble que le leadership moral et la responsabilité sociale fonctionnent très bien pour les cadres dirigeants au Japon. Enfin, les facteurs de reconnaissance, le soutien des collègues, l'autonomie dans le travail et les compétences mobilisatrices du responsable ou de l'employeur jouent un rôle très important dans le travail d'équipe.
Docteur Wim Van Hooste, conseiller en prévention-médecin du travail
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